L'hypothèse du lien entre alimentation grasse et maladies cardiaques (hypothèse de Keys) scinda la communauté des chercheurs et des cliniciens en deux groupes aux attitudes différentes
A partir des années 1950, la recherche sur l'hypothèse cholestérol se développa énormément. Les partisans de Keys, comme Jeremiah Stamler considéraient qu'ils avaient amassé un volume considérable de preuves en leur faveur. Mais ces preuves ne prenaient en compte qu'une petite moitié des résultats obtenus, et l'autre moitié ne supportait pas l'hypothèse de Keys selon laquelle les maladies coronariennes et cardiaques sont fortement influencées par la proportion de graisses dans l'alimentation. Deux attitudes opposées coexistaient dans la communauté médicale et scientifique. Comment deux décennies de recherche avaient-elles pu échouer à convaincre une moitié des chercheurs et totalement convaincre l'autre moitié ?
Une raison est celle de philosophies opposées : les opposants à Keys tendaient à avoir de fortes exigences de rigueur scientifique et ne se satisfaisaient pas de preuves faibles, alors que les partisans de Keys se voulaient prudents sur une question de santé publique et préféraient agir sur une présomption. Il leur semblait qu'on ne pouvait se payer le luxe de la preuve scientifique quand des américains mourraient tous les jours. « L'absence de preuve finale, définitive d'un hypothèse ne constitue pas une preuve de sa fausseté », disait Keys.
L'effet dans la presse était aussi très différent. D'un côté, un message simple et facile à répéter: « le gras tue ». De l'autre côté, on disait : « nous ne savons pas, plus d'études sont nécessaires », ce qui est évidemment un message moins mobilisateur. Et en effet, la presse fut très largement du côté de l'hypothèse cholestérol.
Les partisans de Keys eurent une attitude sélective, ne retenant que les études et les faits qui leur convenaient et les interprétant unilatéralement
Normalement, l'attitude scientifique consiste à éviter d'avoir une certitude avant les résultats de la recherche. Quand les chercheurs croient savoir que leur hypothèse est valide, ils ont tendance à ignorer les preuves contraires et à interpréter les résultats d'une façon unilatérale.
Par exemple, un argument de Keys était que les japonais vivant au Japon n'avait ni cholestérol ni crise cardiaque, et que les émigrés japonais aux Etats-Unis avait des taux plus élevés des deux. Mais Keys ne s'intéressait pas au fait (montré par les mêmes études) que les émigrés japonais qui avaient un faible taux de cholestérol avaient eux aussi une incidence plus élevée d'incidents cardiaques.
Les tribus Masai au Kenya ont des taux de cholestérol parmi les plus faibles jamais mesurés, alors que leur régime de lait et de sang avec de temps en temps un peu de viande est très riche en cholestérol, en graisses et en calories. Face à ce fait, Keys n'avait pour réponse que des contre-exemples, et une hypothèse que les Masai, ayant évolué en isolation du reste de l'humanité pendant des siècles, devaient être génétiquement différents. Les Masai qui avaient adopté un mode de vie occidental développaient pourtant un cholestérol élevé : un résultat que Keys devait ignorer pour maintenir son hypothèse. Un autre fait que Keys avait manifestement choisi d'ignorer et qui contredisait son hypothèse était que les Masai avaient beaucoup d'athérosclérose mais pas de maladies cardiaques.
Troisième exemple de sélectivité : l'étude « Framingham », généralement considérée comme une des principales preuves de l'hypothèse de Keys, a suivi à partir de 1950 jusqu'à 5.100 personnes dans cette petite ville du Massachusetts, à la recherche des facteurs de risque des maladies cardiaques dans la régime et le style de vie. En 1961, l'étude concluait que le risque de maladie cardiaque était cinq fois plus grand pour les personnes au cholestérol supérieur à 260mg/l que pour les personnes dont le taux de cholestérol était inférieur à 200. Ce qui n'était pas mentionné, c'est que les plus les hommes vieillissaient, plus ceux qui mourraient de crise cardiaque avait des chances d'avoir un cholestérol faible. La relation entre cholestérol et maladie cardiaque était faible chez les femmes de moins de 50 ans, inexistante au-delà. Les chercheurs concluaient en interne que le cholestérol « n'avait aucune valeur prédictive ». Plus fondamentalement, l'étude Framingham, comme d'autres, ne démontrait aucun lien entre alimentation grasse et maladies cardiaques. Ces faits n'étaient pas mentionnés car les administrateurs du National Institute of Health (NIH) avait à l'époque interdit la publication des résultats de l'étude, et ce n'est qu'en 1968 que la biostatisticienne Tavia Gordon publiait une analyse des résultats.
Un autre étude célèbre « la Western Electric Company », avait suivi 4400 employés de cette compagnie, et avait conclu après quatre ans (en 1961): « sur les 88 cas de maladies coronariennes, 14 provenaient du groupe qui mangeait beaucoup de gras, 16 de celui qui en consommait peu ». Vingt ans plus tard, les résultats démontraient que « la quantité d'acides gras saturés dans l'alimentation n'est pas significativement liée au risque de mort par maladie cardiaque ». Mais Stamler et Shekelle, deux partisans convaincus de Keys, savaient quels résultats ils auraient dû obtenir, et écrivaient: « Bien que la plupart des tentatives pour établir la relation... entre cholestérol alimentaire, acides gras saturés, et acides gras poly-insaturés d'une part, et taux de cholestérol sanguin d'autre part, n'aient pas été couronnées de succès...des résultats positifs ont été obtenus dans d'autres études », et ils en citaient quatre. Par conséquent, si cette étude particulière n'était pas conclusive, il fallait l'interpréter à la lumière des études qui l'étaient. « Dans le contexte complet de la littérature existante, ces observations soutiennent la conclusion que la composition en gras de l'alimentation influence le niveau de cholestérol sanguin et donc le risque de mort par maladie coronarienne à long terme chez les hommes américains d'âge moyen ». Malgré ce raisonnement tortueux, les conclusion de Stamler et Shekelle sur l'étude Western Electric étaient fidèlement reprises dans la presse en 1981, et encore réutilisées dans un rapport de l'AHA de 1990, Faits sur le cholestérol. Ce rapport référait aux résultats de l'étude comme « particulièrement impressionnants...montrant une corrélation entre acides gras saturés et maladies cardio-vasculaires », c'est-à-dire précisément ce que l'étude ne démontrait pas.
L'étude « aux Sept Pays » et d'autres essais n'ont pas démontré l'hypothèse de Keys. Qui plus est, l'analyse risques/bénéfices des régimes abaissant le cholestérol n'a pas été menée.
En fait, la quasi-totalité des études similaires n'ont pas démontré de lien entre alimentation grasse et maladie cardiaque. Les partisans de Keys dénonçaient ces études comme portant sur des populations trop homogènes, où tout le monde mangeait trop gras et en revenaient aux études de Keys comparant des pays dont les régimes différaient fondamentalement.
La « légendaire » Etude aux Sept Pays fut lancée par Keys en 1956 avec un soutien financier, énorme pour l'époque, de la part du Public Health Service (200.000$). Elle portait sur 13.000 hommes d'âge moyen dans seize populations essentiellement rurales en Italie, Yougoslavie, Grèce, Finlande, aux Pays-Bas, au Japon, et aux Etats-Unis. La mortalité d'origine cardiaque variait en effet spectaculairement après quatorze ans, de 9 ‰ en Crète à 992 ‰ pour les bûcherons et fermier finlandais. Selon Keys en 1970, les conclusions étaient claires:
Le niveau de cholestérol prédit le risque de maladie cardiaque
La quantité d'acides gras saturés dans l'alimentation prédit le niveau de cholestérol et donc de maladies cardiaques (une variante de l'idée originale de Keys, qui impliquait toutes les graisses)
Les acides gras mono-insaturés protègent contre les maladies cardiaques (les pêcheurs crétois consommaient 40 % de leurs calories sous forme de gras, dont beaucoup d'huile d'olive) – c'était la naissance du fameux régime méditerranéen, ou crétois.
L'étude aux sept pays posait les mêmes problèmes que l'étude aux six pays avant elle : d'abord Keys avait choisi sept pays dont il savait à l'avance qu'ils soutiendraient son hypothèse. Les conclusions eurent été fort différents si la Suisse et la France, par exemple, avaient été incluses.
L'étude prêtait également peu d'attention à la mortalité totale, mais elle démontrait en fait qu'un fort cholestérol ne prédit pas une plus grande mortalité, même s'il est associé à une plus grande incidence de maladies cardiaques. Ainsi, parmi les populations étudiées, les travailleurs ferroviaires américains avaient une longévité supérieure à celle des japonais, malgré un taux de décès par maladie cardiaque élevé (570 ‰).
L'usage de l'outil épidémiologique était enfin contestable, et particulièrement peu apte à identifier les causes de maladies chroniques et répandues comme les maladies cardiovasculaires.
L'effet d'un régime pauvre en graisses sur les maladies cardiaques ne fut testé que dans deux petits essais dans les années 1960, aux résultats contradictoires. Les autres études testèrent en fait un régime de réduction du cholestérol. Celles qui concluaient à un certaine efficacité en matière cardiaque montraient aussi souvent une mortalité totale plus élevée.
En fait, il n'y a jamais eu que deux essais qui aient étudié les effets d'un régime pauvre en graisses sur l'incidence des maladies cardiaques. L'un, hongrois, concluait positivement en 1963. L'autre, britannique, concluait négativement en 1965. Dans tous les autres essais menés, on modifiait les taux de cholestérol sanguin en changeant la composition des graisses dans l'alimentation, en remplaçant les graisses saturées par des poly-insaturées, sans changer la quantité totale de graisses ingérées.
L'essai du « Club anti-coronarien » fut de ceux-là, et on pouvait lire dans la presse dès 1962 des manchettes sur le lien entre régime alimentaire et maladie cardiaque. Là encore, pourtant, les résultats effectifs de l'étude du « Club » étaient moins encourageants. Les membres du Club suivaient un régime « prudent » où les huiles végétales étaient favorisées, et leur incidence d'incidents cardiaques était trois fois inférieure au groupe de contrôle, qui ne suivait pas un régime « prudent ». Mais la mortalité totale parmi les « prudents » était de vingt-six cas durant l'essai, contre six dans le groupe de contrôle.
De la même façon, l'essai de Seymour Dayton en Californie en 1969, portant sur 850 vétérans résidant à l'hôpital, testait le remplacement du beurre, de la crème et des fromages par des produits à base de graisses végétales. Si le groupe testé eut effectivement moins de mortalité par crise cardiaque (66 contre 96) et un cholestérol en baisse, la mortalité due au cancer était bien plus marquée (31 contre 17) et les mortalité totales des deux groupes étaient équivalentes.
Seule l'étude dite Helsinki, menée sur les patients de deux hôpitaux psychiatriques, sembla démontrer un bénéfice sur la longévité d'un régime pauvre en graisses saturées et riche en graisses poly-insaturées (mais pas pauvre en graisses). L'étude portait sur tous les patients présents dans chaque hôpital, par sur une population donnée, mais, selon les auteurs, « la rotation n'est en général pas significative dans les hôpitaux psychiatriques ». Dans cet essai, les hommes testés (mais pas les femmes) vivaient un peu plus longtemps, et avec moins de crises cardiaques, que le groupe contrôle. Les partisans de Keys ne tenaient pas compte de la mortalité totale dans l'étude du « Club », mais ils la mettaient en avant dans l'étude Helsinki.
Le plus grand essai mené aux Etats-Unis fut l'étude dite Minnesota, mais ses résultats ne jouèrent aucun rôle dans la controverse sur l'hypothèse de Keys, parce qu'ils restèrent seize ans impubliés. Ils restèrent impubliés, selon l'auteur, « parce que les résultats était décevants ». L'essai portait, comme Helsinki, sur des populations d'hôpitaux psychiatriques et de maisons de retraites, de sorte que les sujets suivaient le régime « poly-insaturé » pendant un an en moyenne. Le cholestérol baissa de 15% ; les hommes avaient moins de crises cardiaques, mais les femmes plus. 269 patients moururent contre 206 dans le groupe de contrôle.
Les dangers d'une attitude prétendument prudente et ne reposant en fait sur aucune preuve rigoureuse et sur aucune analyse coût/bénéfice ont été démontrés par des cas comme celui des hormones de croissances. Les études pour l'efficacité d'un médicament prêtent légitimement une grande attention à son effet global sur la santé, mais curieusement, les études comparant les régimes riches en graisses saturées et les régimes riche en graisses poly-insaturées ne se concentrèrent que sur la question des maladies coronariennes.
Ravi de voir enfin un blog français qui s'attaque au idées reçues que les papes de la "nutrition moderne" nous présentent comme parole d'évangile depuis si longtemps.
RépondreSupprimerMerci Julot et continuez comme ça !
Bonjour Julot, merci pour cet article vraiment très intéressant.
RépondreSupprimerAvez vous suivi un régime riche en graisse finalement? Pour quel résultat??
Merci
Marielle
Merci, François. Je compte bien continuer. A venir: l'hygiène de vie paléolithique, le contrôle des fringales, les méfaits du blé...
RépondreSupprimerMerci aussi, Marielle. Oui, je mange riche en graisses. Très riche en graisses, même. Non seulement ça m'a permis de me débarrasser d'une obésité que je portais depuis l'enfance, mais surtout j'ai depuis deux ans un moral et une énergie que je n'ai jamais eus. Mes allergies aussi ont disparus, l'asthme, l'eczéma.
Ceci dit, il y a eu et il y a encore un long processus d'adaptation: il est important de très bien contrôler ses glucides, de s'assurer que les graisses sont de qualité, de manger beaucoup de légumes, d'apprendre à lire les étiquettes, de repérer les aliments qu'on ne tolère pas bien... Mon guide est simple: quand on suit le bon régime, on doit avoir une bonne énergie et un bon moral tout le temps, se sentir en forme, ne pas être dépassé par ses émotions, digérer bien. Pour moi, ça se fait très bien avec du foie de veau, de la crème et des légumes verts (et d'autres repas sur le même principe -- personne ne dit qu'il faut toujours manger la même chose, même si ça plait à certains maniaques). Mais je suis prêt à croire que, pour d'autres, ce soit riz complet, lentilles et soupe miso. Moi, si je mange comme ça, je suis frustré, fatigué, affamé.
Vécu la même expérience que Julot ! Je mange maintenant beaucoup de gras et viandes de qualité (bio) et je me porte mieux à 44ans que quand j'en avais 30 ! :D
SupprimerLe stress est un élément important, et des changements d'alimentations produisent aussi du stress; notamment si le changement alimentaire + ou - imposé est mal vécu, il prive d'un lien avec une nourriture plaisir, que l'on aime manger.
RépondreSupprimerCela dit "que ton alimentation soit ton 1er médicament" .. alors mangeons d'abord "sainement" en évitant les aliments "transformés" contenant trop de "polluants" (additifs, et autres substances chimiques ajoutés aux plats préparés et autres bouuff préparés)
Le Foie est un organe essentiel !
1. Il gére les graisse (les brule et/ou les stock)
2. il filtre les toxines, ET SI TROP DE TOXINES le foie n'a alors (selon les individus et les cas) beaucoup moins de temps et/ou d'énergie pour gérer les graisses..
Achetez des aliments de base et les associés soi-même.
Connaître son type de métabolisme.
Pas de recette miracle valable pour tous.
Connaître/écouter son corps réaction à tel ou tel type d'aliments.
Avoir une activité physique régulière.
Gérer le stress.
Être bien dans sa tête.
Ta traductin du livre de Gary Taubes est précieuse car il y a peu d'auteurs français qui se sont attaqués aux dogmes de la nutrition.
RépondreSupprimerCela ne veut pas dire que Taubes a raison sur tout : il y a de nombreux points délicats dans son livre, des erreurs et des oublis, des simplifications abusives.
Mais au niveau historique, il montre bien la fabrication d'un dogme qui ne repose pas sur de la bonne science.
En cela, son livre est un trésor.