vendredi 12 février 2010

Brian Peskin et les acides gras essentiels


Brian Peskin est un original, mais il est à bien des égards emblématique de l'état de la science. Il pourrait même être un modèle pour son futur. Le « professeur », s'il a une bonne formation scientifique, n'est ni docteur, ni médecin, ni chercheur au sens habituel. Néanmoins, il a des théories et des recommandations qui sont basées sur la recherche scientifique la plus incontestable. Ce drôle de passeur épluche les revues scientifiques. Il élimine les articles dans lesquelles il discerne un biais ou un défaut de rigueur. Il se trouve qu'ils sont bien plus nombreux qu'on ne pourrait le croire : dans les revues médicales les plus prestigieuses, on trouve des procédures manquant de rigueur (par exemple on sélectionne soigneusement les sujets au préalable), un manque de maîtrise des outils statistiques (en particulier en ce qui concerne les résultats « significatifs »), et des résumés qui ne traduisent pas fidèlement le contenu de l'étude. Eh ouais.

Peskin n'est pas un spécialiste au sens disciplinaire. C'est un « honnête homme » d'aujourd'hui, appliquant son travail et son sens critique aux savoirs existants. Il en fait émerger ce qu'il appelle des « résultats de la vraie vie », donnant force à l'idée que nous savons en fait plus que nous ne croyions si nous pouvons faire des synthèses au sein de l'immensité de la recherche et de la science d'aujourd'hui.

Quelles sont donc les « découvertes » de Peskin, me demanderez-vous impatiemment ? Il y en a plusieurs, mais la principale a à voir avec les acides gras essentiels (AGEs). Ce sont les graisses que notre corps est incapable de synthétiser, et que notre alimentation doit par conséquent apporter. Ces acides gras sont nécessaires à bien des processus dans notre corps, en particulier ce sont des précurseurs de nombreuses hormones et secrétions actives, mais le rôle principal, celui sur lequel Peskin insiste, c'est que ces AGEs font partie de chaque membrane cellulaire et jouent un rôle fondamental au niveau de la respiration cellulaire. Au niveau de chaque cellule, elles permettent de capter l'oxygène transporté dans le sang par l'hémoglobine (chimiquement, ce pouvoir tient à la présence de plusieurs doubles liaisons qui s'ouvrent pour capter les atomes d'oxygène), de sorte qu'un apport approprié en AGE assurent la bonne respiration, donc le bon fonctionnement, de chacune des centaines de milliers de milliards de cellules de notre corps.

(Celui-là, c'est l'acide linoléique).

Or notre alimentation est pauvre en AGEs intacts : s'il y a beaucoup d'huiles poly-insaturées, et donc d'AGEs dans les margarines, dans les huiles végétales, dans les viandes et poissons, la plupart des ces AGEs sont abîmés par les polluants, les traitements industriels, et même la cuisson. Si une huile se garde des mois sur une étagère sans s'abîmer, c'est qu'en fait elle n'est déjà plus biologiquement disponible. Laissez une boîte de margarine ouverte sur la table, et il ne lui arrivera rien. Même après des semaines, elle ne moisira pas : aucun être vivant n'en veut. C'est justement parce que les AGEs ont un grand pouvoir de capter l'oxygène qu'elles sont extrêmement fragiles. Pour un bon apport d'AGEs, il faut donc des huiles biologiques, de première pression à froid, suffisamment fraîches, et conservées à l'abri de l'air, de la lumière et de la chaleur. D'où l'intérêt de certains compléments alimentaires dans lesquels l'huile est conservé en gélules dans des boîtes opaques.

A rigoureusement parler, il n'existe que deux acides gras essentiels : l'acide alpha-linolénique (ALA), qui est le maillon élémentaire de toute la famille des fameux Oméga-3 ; et l'acide linoléique (LA), qui est le maillon élementaire des toute la famille des Oméga-6. A partir de ces deux constituants de base, notre corps sait synthétiser tous les dérivés, tels que le DHA ou l'EPA pour les Oméga-3, ou le GLA (acide gamma-linoléique) et l'AA (acide arachidonique) pour les Oméga-6. Mais à l'inverse, notre corps ne sait pas produire d'ALA à partir de DHA ou d'EPA, ou de LA à partir de GLA ou d'AA. C'est pourquoi il est plus important de fournier à notre corps ces acides gras « parents » que les acides gras dérivés.

Ceci concerne en particulier les huiles de poisson, dont les vertus universelles sont si souvent vantées. Elles contiennent des Oméga-3, mais très peu d'Oméga-3 « parent », l'ALA, et beaucoup d'EPA et de DHA. Avez-vous des amis américains? Demandez-leur s'ils prennent des compléments d'huiles de poisson, en prévention des maladies cardiovasculaires, de la dépression, et de plein d'autres choses. Moi j'ai essayé : ils en prenaient tous. Pourtant, nous dit Peskin, l'overdose en huile de poisson est extrêmement novice. Les études cliniques montrent en effet qu'elle affaiblit le système immunitaire, compromet la formation du cerveau des bébés, cause des troubles dermatologiques (il n'y a quasiment pas d'Oméga-3 dans les cellules d'une peau saine) et perturbe la glycémie, avec des risques de surpoids et de diabète. Ajoutons que la plupart des huiles sont faites à partir de gros poissons qui accumulent les polluants, en particulier les métaux lourds.

Un mot de mon expérience personnelle ici, qui correspond à ces observations. Après quelques mois de supplémentation quotidienne aux doses recommandées d'huile de poisson, j'ai expérimenté en effet toutes sortes de désagrément, en particulier des perturbation de mon appétit qui ont mené à des problèmes de poids. Depuis que j'ai arrêté cette supplémentation et lui ai substitué les AGEs recommandées par Peskin, ça va très très bien. Pour ne citer qu'un effet positif, rapporté par d'autres également : mes gencives ne saignent plus.

Que recommande donc Peskin en détail? Un apport quotidien en LA et ALA proportionnel à votre poids, avec plus de LA que d'ALA (environ deux fois). Comment réalise-t-on cet apport? Avec des huiles de première pression à froid de graines, biologiques, fraîches et bien conservées. Par exemple, pour environ 1g d'ALA et 2g de LA, on peut prendre 2g d'huile de lin et 3g d'huile de tournesol, d'onagre, de chanvre ou de bourrache (ou un mélange de celles-ci). Peskin préconise également l'ajout d'un peu d'huile de coco, qui ne contient pas d'AGE mais a néanmoins de nombreuses vertus. On peut faire son propre mélange avec des huiles ou des compléments alimentaires, ou même acheter des gélules dosées selon les indication du Professeur depuis son site web. (C'est la meilleure solution, mais aussi la plus chère).

Une autre solution, très New Age, est d'utiliser directement les graines elles-mêmes. Après tout, elles apportent aussi des minéraux, des fibres, et puis elles sont naturellement conçues pour protéger les acides gras qu'elles contiennent. Pour ma part, je mouds une cuillère à soupe de graines de lin avec une cuillère à soupe de graines de tournesol, dans un moulin à café, et je mélange le tout à un peu de fromage blanc et de crème fraîche. Ceux qui le tolèrent bien, ou qui trouvent ce mélange peu à leur goût, peuvent évidemment ajouter un peu de douceur avec des fruits ou du miel ou même de la confiture, et faire l'impasse sur la crème. Néanmoins, comme la plupart des auteurs que je chroniquerai sur ce blog, Peskin promeut un régime pauvre en glucides et riche en graisses naturelles de qualité. Il défend aussi une supplémentation en minéraux biodisponibles, mais nous parlerons de cela une autre fois.

La thèse la plus choquante et la plus intéressante de Peskin est que ces AGEs constituent un mode de prévention souverain du cancer. En se basant sur les travaux reconnus et incontestés du Dr. Otto Warburg (Prix Nobel de médecine 1931), Peskin affirme que la cause primaire du cancer est toujours un défaut d'oxygénation cellulaire. Pour être honnête, il faut remarquer que Warburg a en fait montré la réciproque de cette affirmation : à savoir, que le défaut d'oxygénation cellulaire menait toujours à l'apparition d'un cancer. Vous accorderez néanmoins peut-être que l'affirmation de Peskin est du coup assez crédible. Et ce, d'autant plus que ses implications logiques sont suivies d'effet : l'apport en AGEs est effectivement un outil de prévention du cancer, et renforce aussi l'efficacité du traitement. Peskin met aussi en avant d'autres avantages de son approche, par exemple pour les sportifs, ou pour la régulation de l'appétit.

Si vous vous référez au site de Peskin, vous trouverez sans doute un gouffre culturel entre lui et ce que nous sommes habitués à prendre au sérieux. Les affirmations à l'emporte-pièces, l'auto-promotion décomplexée, les associations commerciales. Je vous invite à passer outre ces oripeaux, à les mettre sur le compte de la diversité culturelle, et à lire Peskin avec un esprit curieux et critique. Je ne peux en tous cas que reconnaître les effets spectaculaires de ses recommandations sur le bien-être et la santé de toute ma famille.

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je lis actuellement l'ouvrage de la nutritionniste Nora Gedgaudas (Primal Body, Primal Mind) et ses conclusions vont à l'encontre de Brian Peskin : en gros les molécules EPA et DHA sont plus importantes que les ALA, et de ce fait, se supplémenter via des poissons gras (et sauvages) est plus intéressant que de se supplémenter en simples ALA parce que le corps ne ferait pas la conversion ALA => EPA,DHA (ou de façon bien moindre). Je ne sais plus quoi penser du coup. Par précaution je fais attention aux trois.

    La remarque de Peskin sur les dangers des huiles de poisson me parait en revanche très à propos. De même que sur le marché, les poissons sauvages se font de plus en plus rares et laissent la place à des poissons d'élevages, probablement moins riches en AGE...

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  2. Bonjour Béji,

    Merci de votre commentaire. En effet, Peskin va à l'encontre de "l'orthodoxie hétérodoxe".

    Il me semble que la question est facile à trancher: essayez la supplémentation en huiles de poisson pour un mois ou deux (ou trois si vous pensez que c'est nécessaire), et essayez la formule Peskin. Mon expérience, et celle de beaucoup de mes proches et de mes amis, est que la formule Peskin est très supérieure. Mais chacun doit faire ce qui marche pour lui.

    En ce qui concerne l'argument de la faible conversion ALA->DHA/EPA, Peskin pense qu'il n'est pas logique de penser que notre corps soit si incapable, et ne puisse pas synthétiser suffisamment de ce dont il a besoin.

    Mais surtout, son argument central est que la principale raison pour laquelle nous avons besoin d'ALA n'est pas la production d'EPA/DHA, mais la bonne perméabilité/respiration de chaque membrane cellulaire dans notre corps. Et pour cela, personne ne contestera que l'EPA et le DHA ne servent à rien.

    Félicitation pour vos lectures. Un post sur Mark Sisson est d'ailleurs à venir, pour une vision un peu différente du paléo-lifestyle.

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  3. Merci...je crois qu'aux USA, il se passe quelque chose, nutritionnellement parlant, en fait depuis le premier article de G. Taubes dans le New York Times. Atkins pouvait décéder, sa rélève était là.

    En fait Nora Gedgaudas a pratiqué une science...euh...alternative (ou parallèle), que je ne connaissais pas (neurofeedback), et donc son discours tend à promouvoir une meilleure santé de l'esprit. Et c'est en ça qu'elle promeut les molécules EPA et DHA, pour le bon fonctionnement du cerveau. Ce qui peut expliquer pourquoi elle considère les ALA comme moins essentiels. La conclusion du livre "The Omega3 power" (traduit par M. De Lorgeril en France) était plus prudente et recommande de diversifier ses sources.

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